El Editor Solitario

Oscar Muñoz

“L’archiviste sélectionne des images et les agence en suivant un sens ou un ordre précis afin de les préserver. Cependant, la sélection mène aussi vers une pratique qui écarte l’information – effaçant inconsciemment tout ce qui n’est pas choisi. Cet acte peut donc conduire à l’invisibilité, à l’oubli de ce qui n’a pas été sélectionné”

Oscar Muñoz

El Editor Solitario

La longue et talentueuse carrière d’Oscar Muñoz est ponctuée d’oeuvres emblématiques qui ont permis de façonner formellement et conceptuellement son langage singulier. Editor Solitario fait incontestablement partie de ces oeuvres phares, apportant, en outre, une réflexion sur la pratique artistique en elle-même. Dans cette installation, l’artiste joue le rôle d’un archiviste, réorganisant sans cesse un ensemble d’images où son album de famille côtoie des portraits de célébrités ou des figures de l’Histoire de l’art. La référence constante aux jeux de carte, implique l’idée du hasard et l’abandon aux caractères aléatoires du jeu. Néanmoins, la conviction surréaliste d’un « hasard objectif », d’une participation active à l’acte créatif, ne doit pas être négligée dans cette oeuvre. Oscar Muñoz semble cultiver les stratégies qui permettent à ce hasard objectif d’exister, devenant presque essentiel dans son travail. En même temps, et de façon presque paradoxale, sa pratique se fonde sur l’inlassable répétition d’un processus jusqu’à l’obtention d’un résultat attendu. Il ne s’agit pas tant d’accepter l’accident que de poursuivre un certain contrôle sur le destin de l’oeuvre en devenir. L’exposition permet de révéler la nature organique et fugace qui nourrit l’acte de création chez l’artiste.

L’oeuvre centrale Editor Solitario II est accompagnée d’une série de quatre petites installations, appelées Intentos (tentatives). L’importance de ces pièces est fondamentale pour comprendre pleinement l’oeuvre de Muñoz dans cette nouvelle perspective. L’idée de tentative ou d’essai transcende la simple notion d’esquisse, de ratage ou de test technique en atelier ; elle implique que la solution à l’énigme -parfois présente dans l’oeuvre- peut être multiple, sans hiérarchie voire que la réponse n’adviendra que dans le temps.

En effet, le temps -ou plus précisément, la perception d’une temporalité étirée- est également au coeur de la réflexion artistique présente dans ces oeuvres. Dix à vingt ans séparent parfois la création de l’oeuvre avec sa matérialisation actuelle. Cette question de temporalité, se trouve également cristallisée au sein de chaque oeuvre, que ce soit la manière dont le visage de Narcisse coule lentement au fond du réservoir d’eau dans Intentos del jueves, 2010, ou à l’image du progrès de la fixation/disparition photographique de la mémoire dans 6 Intentos (Biografias), 2001-2002. L’exemple le plus caractéristique se retrouve sans doute dans le cycle sans fin de Intentos 1 y 2 (Re/trato y Proyecto para un memorial), 2004 où l’auteur tente de dessiner un portrait en utilisant de l’eau sur une pierre chauffée au soleil. Nous sommes face à une entreprise impossible et vouée à l’échec mais répétée inlassablement dans un geste de résistance et de détermination.

En visitant cette exposition on ne peut s’empêcher de penser qu’elle est chargée d’éléments symboliques, jetant, plus que jamais, un nouveau regard, sur nous-mêmes et sur l’époque actuelle. Initialement prévue pour l’automne 2020, elle aurait dû marquer le 10ème anniversaire de la galerie, rappelant l’exposition inaugurale consacrée à Oscar Muñoz. En raison des circonstances actuelles -une autre forme de hasard-, nous avons dû attendre le bon moment et réinventer de nouvelles formes d’interactions, une façon de faire confiance inlassablement en l’opportunité que représente toute nouvelle tentative.

Método Ludovico

La méthode ‘Ludovico’ est une technique fictive de thérapie par aversion devenue célèbre grâce au film Orange mécanique de Stanley Kubrick. Método Ludovico est une interprétation artistique du phénomène psychologique connu sous le nom de conditionnement classique, un processus initié par le psychologue, philosophe et physiologiste russe Ivan Pavlov. Cette technique est supposée produire un rejet physique et psychologique à un sujet obligé de subir une série de stimuli visuels.

L’oeuvre consiste en une projection basée sur un document vidéo historique —Entrega de armas de la guerrilla del Llano, de Marco Tulio Lizarano—, qui capture la reddition et l’amnistie des premiers guerilleros colombiens en 1953 La vidéo est projetée sur un écran personnalisé : une membrane blanchâtre et translucide maintenue par deux petites pinces ophtalmiques appelées blepharostats. Ce dispositif médical est utilisé dans le film de Kubrick afin de garder les yeux du protagoniste ouverts, l’obligeant à regarder, sans sourciller, les images projetées devant lui. Le film est modifié en terme de couleur et de contraste, ainsi que par d’autres petits ajustements du matériel original. En contemplant ces images, qui pourraient être confondues avec le récent désarmement des FARC, le spectateur expérimente un sentiment de déjà-vu, la sensation d’un passé qui se répète au coeur de la menace des promesses non tenues.

Método Ludovico, 2018-2021

Oscar Muñoz

Editor solitario

Dans l’expérimentation de la photographie et de la vidéo, Oscar Muñoz s’intéresse aux images et à leur pouvoir de fixation de la mémoire. Editor Solitario II est une vidéo projetée sur une table montrant une main en train de déposer des photographies issues de différentes sources : des portraits de dossiers judiciaires, des coupures de journaux, des portraits de personnalités littéraires et artistiques ou encore des icônes du XXème siècle. Le résultat crée une sorte d’album en constante mutation. Le caractère aléatoire et le rythme de la main qui édite les visuels, rappellent le jeu du solitaire, nous sommes face à un jeu de mémoire dont l’association des images nous dépasse. L’artiste souligne le caractère éphémère, accidentel et interchangeable des images et leur surabondance dans la société cotemporaine.

“Le titre renvoie au jeu de cartes le “solitaire”. Quelqu’un est en train de jouer aux cartes, mais celles-ci sont remplacées par des images photographiques. Je fais également allusion à la façon dont le passé peut être transmis ou reconfiguré, à l’image de l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg, qui explore l’idée d’une mémoire innée en s’appuyant sur l’Histoire de l’Art ou, à un niveau plus personnel, à la structure des albums de photos de famille. Dans les deux cas, l’ordre n’est pas chronologique mais particulier et subjectif.”

Oscar Muñoz

Editor solitario II, 2011

Oscar Muñoz

Intentos I y II

“Une main tente d’esquisser les traits caractéristiques d’un visage, mais le médium utilisé (l’eau) et le support (une dalle de ciment sur laquelle tombe la lumière directe du soleil) rendent la tâche impossible. Le temps que le pinceau dessine une partie du portrait, le reste de celui-ci s’est déjà évaporé, malgré tout la main continue, inconsciente, dans un processus sans fin, paraissant motivé par une obstination tenace. Si le mot mémorial peut qualifier tout objet visant à se souvenir d’une personne ou d’un évènement, on l’utilise généralement pour un monument construit expressément pour commémorer un fait ou un personnage historique. Mais il existe une autre acceptation du terme comme “mémoire qui sert à instruire une affaire”, dont est plus proche le mémorial proposé par Muñoz, au sens où il présente des images d’individus condamnés à disparaître ; l’acte de monumentalisation (ou de mémorialisation) que propose Muñoz consiste à s’inscrire contre cette entreprise d’oubli historique, en utilisant la persistance de l’image comme un “mémorial de l’offence” interpellant l’Etat depuis la sphère publique : ces individus, issus de la masse statistique, refusent de disparaître de l’Histoire.”

José Roca, Oscar Munoz, Protographies, Jeu de Paume, Paris, 2014

Intentos 1 y 2, 2004

Oscar Muñoz

6 intentos (Biografías)

Biografias est un vaste projet artistique qui se manifeste à travers plusieurs oeuvres photographiques et multimédia. Le point de départ est un ensemble de négatifs abandonnés par des photographes de rue – connus sous le nom de “fotocineros” – dans la ville de Cali. Ils photographiaient les passants dans l’espoir de leur vendre leur cliché par la suite. Oscar Muñoz a récupéré -avant destruction- un large inventaire de ces photographies non réclamées. Les portraits choisis se concentrent volontairement sur chaque visage. L’artiste développe l’image en utilisant un processus de sérigraphie, il saupoudre de la poussière de charbon à travers un pochoir de sérigraphie au dessus d’un évier rempli d’eau. Il filme ensuite le portrait déposé sur la surface aqueuse alors que l’évier est en train de se vider, montrant comment les traits se transforment et disparaissent lentement dans le mouvement du liquide.

L’oeuvre évoque une interprétation cyclique d’histoires personnelles, agissant comme un registre d’archives où l’image bien qu’instable est réactivée, suggérant un souvenir éternel à travers une métaphore de la mémoire. La série d’enregistrements qui intègrent 6 Intentos, a été filmée avant la production de la série principale Biografias (2002), et est présentée sans post-production supplémentaire. Les images, flottent à la surface de l’eau avant de s’évanouir dans la canalisation.

6 Intentos (Biografias), 2001-2002

Oscar Muñoz

Intento del jueves

Parmi les Intentos d’Oscar Muñoz, certaines oeuvres fonctionnent comme un point d’ancrage entre les différents corpus liés entre eux dans leurs processus de création. C’est le cas de Intento del jueves, enregistrée près d’une décennie après Narciso (2001) et Lacrimarios (2000-2001), et pourtant largement liée à ces oeuvres fondamentales.

La vidéo présente une image imprimée à l’aide de poussière de charbon à la surface de l’eau dans un évier. Au fil du temps, les petites particules commencent à tomber au fond de l’évier, produisant dès lors une seconde image : comme une réflexion ou un miroir de la première qui resterait immobile, immuable et iconique tandis que son référent vacille à la surface.

Intento del jueves, 2010

Oscar Muñoz